top of page

"Les Indifférents et l'Europe"

par Michel NEBENZAHL

Fondateur de l'Ecole et de la Compagnie de Théâtre Universitaire "Les Indifférents" 

Université de Paris 1O

 

                                                                                                                     

 

Permettez moi de profiter de l'occasion qui nous est donnée d'être invités à la seconde édition du "Festival of Europe" pour présenter la spécificité de notre contribution à l'Europe des Universités, de la formation des étudiants, de la transmission et de l'invention des arts de la scène, de l'image et du son, dont le "théâtre", en tant que "hypermédium", est la voie royale.

 

1) L'Université européenne du XXIème siècle  impliquera une formation artistique obligatoire( et cela dans le fil de ce qui se met en place dans l'enseignement primaire et seondaire)pour tout cursus universitaire, qui sera validée comme toute autre unité d'enseignement. Les arts de la scène ( le "théatre universitaire") sont l'un des choix possibles offerts aux étudiants. Leur vocation "généraliste" ( ils comprennent son, musique, danse, image, lumière et ouvrent sur vidéo, cinéma, art de la narration...) les recommandent aux étudiants non "spécialistes".

 

2) Une formation artistique universitaire entraîne des effets d'une importance décisive pour la formation et la vie de l'étudiant. Elle soutient la confiance en soi, la constance et le développement du projet professionnel pendant la durée des études. Elle favorise l'émergence de capacités singulières dans le cadre d'un apprentissage et d'une création collectifs et induit ainsi un esprit d'entreprise. En développant et valorisant la qualité de la relation à soi, à l'autre, aux autres, le rapport au corps, à la voix, à la parole, au langage, elle donne une base concrète, active, sensible, intelligible et nommable au vague que recouvre encore le terme de culture.

Elle représente ainsi une structure  d'accueil et d'intégration au meilleur niveau, comme d'intérêt et de maitrise de la langue française pour les étudiants étrangers et ceux en quête d'orientation, en toute égalité et partage de formation avec ceux qui poursuivent des cursus déterminés. Nous y avons reconnu et fait reconnaître une des bases essentielles de la construction d'une culture européenne, qui a capacité dans sa composition même de rencontrer toutes les "cultures" (ce qu'on appelle le "multiculturalisme") et de les intégrer pour que ressorte sur ce fond leur relief propre, redonnant sens et vie à la vocation universalistequi fut un temps l'aspiration de l'Europe maintenant avertie de ses crimes contre l'humanité. C'est en effet à ce titre seul et ce qu'il implique de reconnaître toute l'humanité en chaque être humain que l'Europe peut prétendre apporter une contribution décisive au cosmopolitisme. 

 

Le choix des "réalisations" du théâtre universitaire part des questions concrètes que se pose la génération et, soit trouve des références dans une une oeuvre du passé, soit suscite une création originale.

L'Université se reconnaît ainsi et se fait reconnaître comme lieu de mémoire ( lieu des traditions et de la transmission), en même temps que d'invention, de production et non de seule consommation. Les Universités européennes accueillent leurs réalisations, comparent méthodes, objectifs, conditions et résultats dans des Festivals internationaux de théâtre universitaire sans sacrifier au culte du spectacle.

 

En tant que formation artistique universitaire, le "théâtre universitaire" n'est pas un "département d'études théatrales". La pratique y est première. Par exemple: la rencontre de soi dans l'image , corps et voix, et son analyse publique. Le démontage du "comportement" ( tant personnel que social) pour pouvoir en "jouer" les composantes etc...Et ce sont les étudiants qui après expérience en déduisent et écrivent la "théorie". Ce sera alors une surprise pour eux de constater  en quoi leurs conclusions s'accordent ou diffèrent de la leçon des "maîtres" de la tradition, dont les travaux, les réalisations et les textes ne seront appelésqu'après l"expérience pratique.

 

"L'Ecole" de théâtre universitaire n'est pas un "Conservatoire d'art dramatique": d'une part sa vocation n'est pas de faire des "professionnels de l'art" ( n'est ce pas un oxymore?), d'autre part elle répond aux critères d'exigence intellectuelle "d'enseignement et de recherche" des Universités. Par exemple: l'approfondissement du contexte (d'une situation, d'une oeuvre), des conditions de la réception (implications, enjeux), des raisons qui ont conduit des oeuvres à être rarement (ou jamais) jouées etc...Mais cela toujours à partir des conditions de leur traduction pratique: le "comment" ici crée le "quoi". Les départements de lettres et de littérature, qui commencent à s'ouvrir sur des Ateliers d'écriture et de narration, y trouveront matière à réflexion.

 

Le théâtre universitaire n'est donc ni "professionnel" ni "amateur" ( il n'est pas orienté profit, obligé d'un "répertoire"...pas plus que le coup d'éclat ou le "flop" d'un soir) ...on le dira d'une part "expérimental": expérience du corps et de pensée, expérience de création collective, pointe de recherche universitaire sur des sujets, des thèmes controversés...Et d'autre part ancré dans le moyen-terme (de l'entrée à l'Université jusqu'au Master). La formation pratique, en inversant la hiérarchie d'apprentissage (elle part du "savoir-être", du "savoir-faire") "renforce" le "savoir" en lui donnant une raison et devient ainsi le complèment indispensable de la formation universitaire européenne. 

 

Enfin le théâtre universitaire, création des Universités, a naturellement vocationinternationale. En effet les Universités des pays européens qui ont mis en place cette formation spécifique ont capacité d'organiser des rencontres, des Festivals qui accueillent les recherches, les travaux, les réalisations des TU des différents pays, de les confronter et d'en tirer des enseignements. Le théâtre universitaire apporte ainsi une contribution essentielle au développement des liens, d'un réseau incarné et non plus seulement "virtuel" à la construction d'une Europe de la culture, et de ce que peut apporter une structure universitaire de jeunes étudiants en matière de tradition, de transmission, de recherche et d'innovation des bases scéniques  de l'expression, de la narration et du champ audio-visuel.

 

C'est ici le moment d'introduire l'interêt du TU pour la question linguistique. En effet le TU travaille en étroite relation avec les départements de langues étrangères présents à l'Université. La richesse et la diversité des cultures théatrales européennes et des supports textuels où elles s'expriment fait que nous sollicitons la coopération non seulement avec les étudiants français en apprentissage de langue mais aussi avec les étudiants des divers pays européens inscrits à l'Université dès lors que nous abordons un texte en langue étrangère.

 

On devinera sans peine les effets de cette intégration: familiarisation de nos étudiants de TU avec (les subtilités d') une langue étrangère (qui va jusqu'au désir de l'apprendre...); désir des étudiants de langue étrangère et des étudiants étrangers de se joindre à la formation et au travail de réalisation de la Compagnie; choix de supports textuels de langues européennes (nous avons pour exemple travaillé sur l'allemand (Kafka), sur l'espagnol (F.G Lorca), sur le polonais (Witkiewicz), le russe (Tchekhov), le serbo-croate (Ivsic), sur l'anglais (Shakespeare, Beckett, Mankiewicz), l'italien (Pasolini) et joué en plusieurs langues simultanément ("Les trois soeurs" de Tchekhov ont été jouées en français, russe et serbo-croate...), les traductions intégrales existantes étant revisitées par nous à partir des exigences de la pratique.

 

C'est pourquoi le débat actuel sur l'introduction de cours en anglais dans les Universités nous apparait mal placé. On soutiendrait à la limite l'ouverture de cours en toute langue étrangère à l'Université, le seul réquisit étant de développer les formations de traducteurs...un "débouché" pour les Universités, une mobilité enfin effective des enseignants-chercheurs en Europe, un contrepoint à la virtualisation informatique...une des bases essentielles d'un modèle européen d'enseignement, de recherche, de transmission et de créations, "en chair et en os", transnational.

Notre théâtre universitaire s'inscrit déjà dans ce dispositif de manière claire et résolue: nous défendons la francophonie, mais la meilleure manière de la défendre n'est pas seulement de soutenir et d'illustrer des oeuvres de notre patrimoine l'apprentissage du français en Europe, mais d'honorer de notre langue , de comment nous entendons et traduisons les langues, les oeuvres et les cultures des pays. Les Universités et les étudiants sont déjà dans ce dispositif: il convient de le reconnaître et de le développer. C'est une des tâches que notre TU s'est assigné.

Et là nous avons rencontré la structure crée par Robert Germain (Belgique) et Ousmane Diakhatè (Sénégal): l'Association Internationale de Théâtre Universitaire (AITU) en 1993, actuellement présidée par Jean-Marc Larrue (Canada) et qui regroupe 7O pays. Nous l'avons rejoint dès 2OO1 et participé et contribué à tous ses Congrès internationaux "thématiques" depuis lors ( sur "la création collective", "l'identité", "la pédagogie" du TU...). 

Certes "mondiale" l'ambition légitime de l'Association contient mais aussi déborde l'espace européen. Là aussi nous nous inscrivons résolument dans ce dispositif "d'embedding", d'enchâssement et d'intégration: la France, la France en Europe, la France en Europe dans le monde et nous y contribuons de manière engagée et singulière dans "l'enchâssement" à double sens: national-international-transnational-cosmopolite.

 

Et telle est bien, comme son nom l'indique, la vocation des "Universités" que l'élaboration et la mise en place des conditions de l'émancipation et du cosmopolitisme qui sont au coeur de la "modernité" (Kant).

Il ne s'agit pas de "folie des grandeurs": le théâtre universitaire procède sans préjugés (médicaux, moraux, "cognitifs", religieux et même "culturels") du corps ( de sa santé), à partir du "corps en scène", du corps, des corps en relation et découvre de nouveaux gestes, de nouveaux tons, de nouvelles images, de nouvelles narrations , de nouvelles manières de dire, de faire qui placent la qualité et le "durable" en conditions.

Le corps et la voix peuvent alors jouer l'arrogance et la prétention si répandues, les "discours" qui les accompagnent, l'aggressivité, la violence, la fuite, la soumission, la "séduction", les égoïsmes et les "petites différences" argumentés, les identités non négociables bref le comportement  qu'imposent domination et compétition, sur fond de guerres et d'extermination latentes. L'Europe a traversé les issues du "comportement", il est temps qu'elle en applique les leçons. Disons que le théâtre universitaire opère à la racine, et, n'ayons pas peur du mot, qu'il se réclame de l'éducation dont l'Université croit pouvoir faire l'économie. 

On ne s'étonnera pas alors qu'il puisse opérer de profondes transformations du rapport à soi, à l'autre, aux autres; de faire émerger des capacités, l'idée d'activités inédites, le goût de la création collective, de l'entreprise; d'enrichir la profession visée de dimensions supplémentaires d'écoute, de mobilisation des qualités des personnes, des instruments, des objectifs en intégrant les exigences du court-terme.

On dira alors qu'il s'agirait de la formation d'une "élite", mais l'expérience montre que ce sont les étudiants dits, pour diverses raisons, "en difficulté" ou ceux qui sont au seuil de l'Université qui non seulement "accrochent" le plus à la formation mais pour lesquels l'Université telle qu'elle devrait exister existe vraiment. Jean Vilar ne visait-t-il pas, comme il le disait, le "théâtre d'une élite populaire", exacte antidote de tout "populisme"?

 

Cette présentation de notre "concept" de TU ( qu'on trouvera résumée dans les statuts de la fondation de la Compagnie) requiert maintenant son exemplification:

 

3) Bref historique de l'Ecole et de la Compagnie de TU de Paris 10-Nanterre

 

                                                                                                             Après avoir ouvert un Atelier d'essai dès 1993, repris pour s'inscrire à plus long terme dans l'Université en 1998, l'affluence des étudiants  pour l'inscription en début d'année étant monté à près de 25O étudiants (!) et ne pouvant en retenir que 25, je décidai de fonder l'Ecole et la Compagnie de TU en 1999 (Association loi 1901), avec l'accord , enthousiaste alors, de Jean-Louis Besson du département d'études théatrales de notre Université.

Dès cette première année, j'appliquai la "méthode", formation pratique ( exercices et improvisation du corps en silence pendant plusieurs semaines, introduction au cinéma muet et au récent "Tanztheater", comme contrepoint de référence), les étudiants étaient munis d'un cahier pour noter ce qu'ils avaient chacun "appris" de ce travail qui était alors confronté aux "leçons" qu'en avaient tité les grands maîtres de la tradition ( russes avant tout mais aussi français) dans cet approfondissement extraordinaire qui va de Stanislavski à l'Actor's Studio. La formation entrait ainsi dans son deuxième palier: "apprendre à apprendre" ( je m'appuie sur la théorie de l'apprentissage à niveaux de Gregory Bateson, comme je l'ai developpé au Congrès de l'AITU sur la "pédagogie" à Leicester en 2010).

Simultanément ( nous disposions alors de 3 fois 4 heures situées en fin de journée et le samedi matin de formation par semaine) une formation à la dramaturgie (la construction d'un texte dramatique) et à la traduction: le choix porta sur le "Songe d'une nuit d'été" de Shakespeare (pour des raisons qui apparaîtront par la suite) dont nous traduisimes en équipe l'intégralité du premier acte tout en analysant la construction de la pièce. Le travail sur la voix commenca après en prenant la poésie pour support (casser le discours, travailler sur les sources de l'énonciation, de "l'adresse", l'intonation...). Exercice sur le monologue, dialogues de scènes du répertoire (de Molière à Beckett), improvisations à la suite sur les deux formes. Ce n'est qu'après 4 mois de ce travail que nous avons abordé le texte qui allait être notre première réalisation:

"Illuminations" d'Arthur Rimbaud ( la rigueur et la "folie" de la formation nous avait perdre une dizaine d'étudiants...nous n'étions plus que quinze...mais définitivement!).

Le choix de "Illuminations" se recommandait à plus d'un titre qui en faisait comme un "Manifeste" des réquisits et de la spécificité de l'apport d'une formation artistique à l'Université. Bien que Rimbaud ait souligné le caractère "opératique" des derniers fragments de son oeuvre, ni le théâtre "professionnel", ni "l'amateur" n'en avait tenté la traduction scénique. L'ensemble des fragments se prêtait tout particulièrement à un travail d'Ecole: monologues, dialogues, trios, quatuors et "choeurs" ( qui en faisaient un "opéra" virtuel qui mériterait son compositeur...un film même donc une "vidéo"...et c'est dans cette optique que nous avons travaillé) écrits dans la langue "physique"d'une parole qui échappe au "discours" et à toute rhétorique (donc à toute "idéologie") sans aucune empreinte "romantique" que l'on attache habituellement à la "poésie", dotés d'une énergie indéfiniment ressourcée,

texte indéfectiblement "jeune", sans modèle ni descendance dans son inspiration, écho de solitudes assumées, de conversations naïves, d'observations aigües, de groupes engagés paradoxaux où chacun fait entendre son cri singulier dans un accord non prémédité, cette oeuvre unique se présentait en outre comme un défi à toute construction dramaturgique.

En effet Rimbaud n'avait pas laissé d'ordre à la suite des fragments, les éditions "savantes" (universitaires...) en avaient donné en présupposant une "intention", une "orientation"...chrétienne de l'auteur d'une "Saison en Enfer"...Le travail sur la matière du texte nous a conduit à un ordre tout différent et le soir de notre présentation à l'Université, après que l'arrière petite nièce de Rimbaud nous ait dit avoir reconnu son grand oncle, un "spécialiste" éminent de l'oeuvre de Rimbaud nous a confié sa surprise d'avoir rencontré un Rimbaud inédit et "vraisemblablement probable" selon les termes prudents des universitaires chevronnés.

Nous avions en effet rencontré des trames amoureuses secrètes et complexes, des échos des barricades de la Commune, un palimpseste du "Songe..." de Shakespeare que nous avions étudié et donc fait émerger une authentique dramaturgie qui ne ressemblait à rien des classiques ou modernes, étonnament actuelle, contemporaine pour les jeunes: elle leur parlait.

Joué à l'Université, accueilli au Lavoir Moderne et dans Arènes de Montmartre, dans le cadre du Festival du 18ème arrondissement de Paris, ce fut notre premier succès(1999-2000)

 

La Compagnie selon ses statuts, se renouvellant chaque année tout en gardant un "noyau dur" de 8 puis 6 étudiants sur la durée de trois ans ( ils devinrent alors "formateurs" à leur tour et ouvrirent des Ateliers aussitôt largement fréquentés, vivier du renouvellement de la Cie) tout en reprenant chaque année la formation de base, chaque fois approfondie, choisit alors Kafka comme support textuel. Ce fut le début d'une longue aventure avec cet auteur. Là encore, les fragments, les courts "récits" laissés par Kafka retinrent notre attention. Ces textes ne répondaient pas à des corps formatés ou formatables, plutôt en gestation, pas plus qu'ils ne répondaient à des subjectivités constituées ou constituables, encore moins à des personnages ou des caractères. Ils sortaient du mime, contemporains de ces corps exposés dans le cinéma muet, corps contradictoires tristes-gais, sensuels mélancoliques à la sexualité inquiètante-familière, burlesques, grotesques, bref "clownesques", des genres "intermédiaires" à la comédie et à la tragédie, "entre-deux", corps en mutation, frayant une voie entre le paysan, le bourgeois, l'ouvrier, les classes sociales, les attributs psychologiques, bref "darwiniens". Un univers d'attitudes, de gestes, de mouvements, une musique comme celle du "Pierrot lunaire" de Schoenberg, celle aussi d'une danse brève, elliptique sur ces airs populaires que réveillaient Bartok, Janacek, qu'il fallait exhumer, (re)trouver, (ré)inventer: le sous-texte ici produisait le texte. Notre travail de fond sur le corps et le silence nous y préparait et s'y confirmait, s'y approfondissait. Porter ces corps sur la scène c'était contaminer le public, le plonger dans ces profondeurs du corps qui ne remontent à la surface et à la parole que pour témoigner d'une sensibilité, d'un don total de soi effrayé (métaphore de l'acteur...de tout geste artistique...de l'acte sexuel...) aussi évident, nécessaire que refoulé, qui touche et même pénétre le public réduit à reconnaître que ce corps est aussi le sien dans cette contagion dont témoignent le sourire et le rire ambigus de la défaite du quant à soi.

Créer ce rapport au public, à quoi les textes de Kafka se prêtaient, constitue le troisième palier de l'apprentissage, de "l'apprendre" de Bateson ( mettre l'autre en condition d'apprendre à apprendre).

Nous n'avons pas cherché alors de "dramaturgie" dans les fragments de Kafka, cela fut notre souci plus tard. Ce sont des "études" que nous avons présenté, aussi avons nous appelé ce premier travail sur Kafka "Kafka Laboratoire", appelation qui devait indiquer référence prise à la grande Ecole polonaise,  à la conception du "laboratoire" de Grotowski et surtout à celle de celui que j'ai toujours considéré comme mon maître: Tadeusz Kantor dont tout l'art porte l'empreinte d'une intériorisation profonde de ce qui anime l'oeuvre de Kafka. Cette empreinte imprégna aussi notre Ecole et notre Compagnie de façon durable comme on le verra par la suite. Il suffit de rappeler que ce dont l'oeuvre de Kafka réclamait droit de cité l'Europe l'a exterminé et que les conditions de sa renaissance y sont loin d'être actuellement remplies.

Le théâtre universitaire dans sa vocation européenne s'est donné une mission de le rappeler, non pas, ou non seulement pour la seule "mémoire" mais pour que l'Europe se reconnaisse dans cette ouverture sans limites à ce qui constitue l'humanité qui fut un moment de son histoire.

En même temps je fis une lecture de la pièce que j'avais écrite lors du travail qui m'avait été confié auprès des prisonnières de la Prison Centrale de Rennes par le dispositif "Justice et Culture". 

 

J'étais alors en même temps professeur à la nouvelle Ecole Nationale qu'hébergeait la scène nationale de Bretagne, pour sa première promotion, qui s'est reconnue dans l'appellation "Les Lucioles" que j'avais suggérée, à la suite d'un long travail entrepris avec les élèves (dont Martial Di Fonzo Bo...) sur Pasolini (traduction, dramaturgie, jeu). Sachant que j'allais travailler avec des prisonnières, j'ai voulu donner parole à des femmes en prison, aussi ai-je écrit le texte avant de les rencontrer pour mettre l'imagination au défi de la réalité. L'effet dépassa toutes mes attentes. Les huit prisonnières avec lesquelles je travaillai sur la parole ( ma collègue danseuse et chorégraphe travaillant en étroite association avec moi sur le corps) étaient d'âge différents ( de 18 à 65 ans). Plus le travail avançait, plus ces femmes s'engageaient prenaient à coeur et à corps une parole, celle de situations, d'expériences vécues que j'avais construites et finalement me dirent que l'on m'avait renseigné, que je savais tout sur leur vie. Je leur dit que j'avais écrit le texte avant de faire leur rencontre et que l'on m'avait proposé de me communiquer leur casier individuel, leurs peines et que j'avais formellement refusé. 

Je dois dire que je n'ai jamais rencontré une telle immédiateté et vérité d'incarnation d'une parole que dans ce qu'elles proposaient, elles faisaient exploser la rampe dans une véritable "action" en scène. Les assistantes de la prison me disaient qu'elles "gueulaient" le texte dans leur cellule le soir, pour se faire entendre...Puis ces femmes me dirent qu'elles comprenaient à quel point elles avient été "connes", leur talent, leur capacité d'analyser et de comprendre ce qu'elles faisaient d'instinct de la parole à laquelle elles s'étaient identifiées pour pouvoir la reprendre en toute conscience me fit voir en elles des personnes capables d'intervenir dans les zones difficiles (expérience que j'avais moi-même faite dans les quartiers difficiles d'une ville de province): on allait vers la "réduction des peines". C'est alors qu'on interrompit mon travail. Il me fut donné comme raison que j'avais outrepassé ma mission. Douleur, révolte s'ensuivirent autant pour ce que je sus des prisonnières que pour moi. Cet exemple montre ce que peut une pratique artistique dans une, n'importe quelle, "institution"...  

                                            Lecture faite de la pièce à la Compagnie, huit étudiantes choisirent de se confronter à la parole des prisonnières. A ces paroles j'avais adjoint le contrepoint de celle d'une femme pachtoune, poème et chant d'amour, qui était tout autant comme une lumière qui se frayait un chemin dans l'ombre de la prison que l'ombre qui recouvrait peu à peu la révolte venue à son comble. J'en confiait la partie à ma compagne d'alors, qui devint mon épouse, Sylvie Azuara-Nebenzahl. Musicienne, bandonéoniste, elle créa la musique vivante ( en écho avec un orgue de barbarie) de "Illuminations", celle qui fut le contrepoint de "Kafka Laboratoire". Poète et écrivain, elle sut donner toute la force, les harmoniques et les nuances de ce chant de de désir et d'amour en souffrance, murmure qui s'élevait peu à peu dans la pénombre d'une scène d'éclats de voix et de désespoirs muets.

 

"Kafka Laboratoire" et la "Cantate pour huit détenues" furent crées au théâtre B-M Koltès de notre Université et connurent un second triomphe après "Illuminations".Toutes nos créations firent pratiquement salle comble chaque fois à l'Université. Nous avions insisté auprès des "autorités" pour que les étudiants puissent assister à quelques répétitions, prendre la mesure des raisons de notre travail, pour qu'il y ait des rencontres et débats sur nos choix, notre apport à l'Université, enfin pour que notre succès ne soit pas d'un seul soir. Rien n'y fit, nous n'étions que des "clandestins" selon les termes d'un directeur du département d'études théatrales. La "Cantate" fut la seule exception, il y eut deux reprises (!). Un incident mémorable eut lieu au cours de la première reprise qui montre bien quelle était notre situation. La salle était comble (plus 4OO spectateurs) et la représentation allait vers sa fin quand les vigiles de l'Université entrèrent dans la salle, lachant leurs chiens bergers sans muselière qui aussitôt montèrent sur le plateau, harcelant les comédiennes qui tinrent le coup jusqu'au bout de façon admirable, toute la salle se levant sur ce finale, applaudissant à tout rompre, descendant des gradins, contraignant la horde à évacuer la salle. Les comédiennes qui avait tenu maintenant s'effondrèrent. Une pétition fut signée par tous les spectateurs, mais le fait était là...C'était en 2001.

 

Le succès de "Illuminations" nous permettait de chercher à faire rayonner notre Université à travers notre entreprise sur le plan international comme l'indiquait les statuts de la Compagnie. Nous avons alors sollicité les services culturels et internationaux de notre Université pour un soutien logistique. On nous laissa dans le vide, la Compagnie fit seule toutes les démarches en international par la suite. 

Après avoir candidaté, la Compagnie fut retenue pour le Festival international de théâtre universitaire de Lausanne en 2OO1. "La Presse" fit l'éloge tant de "Kafka Laboratoire" que de la "Cantate" et de leur effet sur        le public. La Compagnie reçut ainsi le "Prix de la Recherche théatrale" qui, plus que tout autre prix, répondait à ce qui nous anime.

C'est alors que je pris connaissance de l'existence de l'AITU, dont un Congrès avait lieu cette année à Cracovie où je me rendis et fis connaître notre conception du théâtre universitaire, en me rendant compte, que partagée par certains ( surtout en Europe, et particulièrement en Europe dite de "l'Est", ce qui allait se vérifier par la suite) rencontrait une résistance de ce que les anglo-saxons appellent " L'Establishment" (qu'on traduit par "l'Institution"...) qui tient, pour des raisons que je laisse pour le moment deviner, à la séparation nette des département d'études théatrales et de ce qu'ils appellent le "théatre étudiant", cas de théâtre "amateur". 

 

En liant le "Théâtre" et "L'Université" nous donnions un autre éclairage sur les deux et mettions en cause par ailleurs les appellations de théatre "professionnel" (?) et théâtre "amateur" (?). C'est au moins un sujet digne de réflexion...Nous partageons totalement les raisons qui ont présidé à la fondation de l'AITU, et voulons contribuer à son developpement et son avenir, le différend doit y trouver sa place, aussi la Compagnie en fit-elle part depuis 2001. Je pus  ainsi intervenir à tous ses Congrès, voir même publiée dans les Actes du Congrès de Pueblo (2008) mon intervention sur "L'identité du théâtre universitaire"...!!!( à laquelle je renvoie le lecteur).

Et cela jusqu'au Congrès de Leicester (2O1O), constatant à chaque fois les pays et les membres qui partageaient ce que l'apport réciproque apportait tant à l'hypermédium (des "médias") que sont les arts de la scène qu'aux Universités qui décideraient d'entrer en réseau, et ce que cela changeait du "théâtre" comme de "l'Université".

 

Après ces trois créations, nous avons voulu nous mesurer à un chef d'oeuvre du répertoire mondial. Des liens avaient été crées à Cracovie avec les pays de l'Est, la Compagnie s'était étoffée, je proposai de travailler sur "Les Trois Soeurs" de Tchekhov. 

J'avais eu la chance, très jeune, de rencontrer, parmi les amis de mes parents, un acteur russe du théâtre Habima de Moscou, qui avait été l'élève de Vakhtangov. C'est lui qui m'a formé: comment on travaillait au Studio que dirigeait Vakhtangov, les différences qu'il introduisait dans ce qui était la première "méthode" de Stanislavski. Il avait conservé les notes qu'il avait prises lorsque Vakhtangov fit le compte-rendu au Studio de la création des "Trois Soeurs" que Stanislavski réalisa. On sait aujourd'hui que Tchekhov n'en était pas satisfait. 

Ce qui ressortait de l'analyse de Vakhtangov c'était la vision "fin de siècle", en quelque sorte le portrait de la décadence bourgeoise, sur fond de nostalgie sentimentale, sorte de fatalité psycho-sociologique, à "personnages" et "caractères", à laquelle d'ailleurs on continue d'associer Tchekhov. C'était en tout cas la vision de l'oeuvre que Stanislavski avait donné en contrepoint de la Révolution qui suivait son cours. Vakhtangov avait une toute autre idée de ce qu'était la Révolution à la fois sur le plan politique et dans les arts: elles étaient liées, l'une ne pouvait pas aller sans l'autre. Vakhtangov disait: on ne doit pas savoir ce qui se passe dans "Les Trois Soeurs", encore moins ce qui se passe dans la tête des personnages. C'était le mouvement brut de l'Histoire, sans lien de cause à effet, au dessein suspendu, qui comptait, qui était celui de la Révolution, celui de la pièce et qu'il fallait restituer. On sait que Vakhtangov mourut au moment où ce mouvement allait se figer. Ne pas s'occuper du "sens", jouer la "situation", telle était la conclusion pratique que nous allions appliquer et l'expérience que nous allions faire. 

 

Cela prit presque deux années de travail. La Compagnie se renouvellait, des étudiantes russes, arménienne, de l'Université se joignirent à nous, le "noyau dur" assurait la continuité.

Il y eut plusieurs versions, en 2OO2 en langue française ( traduction de Markowicz, modifiée par endroits, grace à la contribution des étudiantes russes) à l'Université. Puis une version en langue française et russe (les étudiantes russes étaient maintenant entrées dans la Compagnie...) toujours à Nanterre, enfin une version franco-russe-serbocroate au Festival international de théâtre universitaire de Zagreb en 2003 où la mécanique implacable, impersonnelle de la pièce que nous avions pu rendre rencontra ce qu'attendait sans le savoir le public de cette oeuvre archi-connue pourtant là bas. Ce qui nous valut une invitation d'office pour l'année suivante à ce Festival annuel qui fut reconduite depuis jusqu'à aujourd'hui. Contacts furent pris avec les TU de Roumanie, Serbie, Bulgarie: nous commencions à forger le réseau...

 

Après la révélation d'une forme de théâtre inédite ("Illuminations" de Rimbaud), l'application du "montage" aux fragments de Kafka, là encore une forme inédite. Après avoir fait entendre ce que pouvait être la parole de femmes en prison,  après avoir ressuscité dans toute sa vérité un moment crucial de l'Histoire politique et artistique de l'Europe, s'offrait à nous une autre spécificité du théâtre universitaire: travailler sur un thème, sur un thème d'actualité.

Le "terrorisme" était déjà d'actualité, depuis le 11 Septembre...Les liens du théâtre à la "terreur" existent depuis l'invention du théâtre. Il y a la terreur des tyrannies à laquelle répond en miroir la terreur du théâtre. Dire que cela pourrait bien être la question que pose le théâtre universitaire à l'Université... On sait en revanche que c'est le sujet du "Théâtre et son Double" d'Artaud ( donc occasion de le (re)lire pour tous et d'en parler.) Le thème était vaste. Les formes que prenaient et pouvaient prendre terreur et terrorisme étaient multiples ( politiques, économiques, militaires, policières, religieuses, morales, sexuelles...) et leur analyse complexe.

Il me faut ici évoquer une autre spécificité du théâtre universitaire qui le distingue autant que le primat de la "pratique" comme condition de la "théorie". 

Quand nous avons abordé "Illuminations" de Rimbaud, les étudiants ont été invités à (re)prendre connaissance de la Commune de Paris ( quelles pourraient en être les traces dans les fragments); de même pour la lecture du "Songe..." de Shakespeare et pour les qualités singulières du "style", de la parole de Rimbaud. Donnons encore un exemple des recherches sur le "contexte": un fragment de "Illuminations" prit en scène sous nos yeux la forme d'un tableau, une impression de "déjà vu" frappa quelques étudiants, puis ce fut ...l'illumination: "Le déjeuner sur l'herbe" de Manet! Nous avions la situation, les attitudes, les gestes, les costumes et le nu, les objets: une indication de mise en scène, de jeu, de lumière, de musique, de "climat" ( quel pouvait-être le lien entre Manet et Rimbaud?...). De même "Kafka Laboratoire" fut l'occasion  de (re)voir les burlesques du cinéma muet, les dessins de Grosz, des expressionistes...Que vous rappelle la "Cantate"...?: Genet, "Huis-clos", les Carmélites..."Les Trois Soeurs" et la Révolution, politique, art...

Un Atelier de TU redonne vie à la curiosité, à la recherche, à l'intellectualité...Et ce n'est pas compliqué: celles et ceux qui ont abandonné en cours de route developpaient une "allergie" au primat de la pratique et/ou de l'intellectualité: que cherchent-t-elles/ils à l'Université?

 

Comment le théâtre pouvait-il rendre, représenter la terreur? Le théâtre pouvait-il être terroriste? Et d'abord qu'est ce que la terreur? 

Nous avons vite laissé la rencontre de l'ours, du tueur, du violeur à la série B.

La terreur monte et s'installe lentement, sournoise, souvent silencieuse, elle envahit le paysage, la scène. La veille c'était comme hier, aujourd'hui rien n'est plus pareil et on ne s'était pas rendu compte. Hier encore on levait la tête, aujourd'hui on la baisse...je demandai: "cela ne vous rappelle rien?" Réponse unanime tout de suite : Kafka! Retour à Kafka donc: cherchez les fragments qui exposent ce processus de la terreur...

On avait remarqué très tôt que l'oeuvre de Kafka avait anticipé la montée, l'avènement du nazisme mais on n'avait pas accordé assez d'attention à la nature du processus qui y avait conduit et que Kafka pourtant décrit lentement, minutieusement: d'impondérables petits changements dans les attitudes, les gestes, les expressions, les regards, les silences, le choix et le sens des mots qui par contagion s'étendent jusqu'à détacher toute une population de l'autre qui n'a d'autre issue que de se soumettre. Ce processus de changement insensible, lent et précis, de "métamorphose" monstrueuse d'une partie entière de population ne peut être rendu que par le temps d'une écriture, que par "l'écriture".

Qui écrit? La réponse était encore chez Kafka: "La colonie pénitentiaire"... La terreur est unart...et son secret se trouvait dans "La colonie pénitentiaire"...Le travail sur les femmes en prison nous revenait en mémoire, certains étudiants apportaient des lectures de Michel Foucault...

Nous avions une nouvelle piste: si la terreur est un "art" et la mise en scène en est un, la terreur ne serait-t-elle pas un ou peut-être même l'art de la mise en scène? On évoqua Leni Riefensthal...Fritz Lang...Mais c'était le théâtre qui était mis en cause et radicalement. Où trouver un exemple théatral de l'art de la mise en scène comme mise en scène de la terreur, de ce qu'elle vise, de ce à quoi elle aboutit ? Un texte qui montre le lien des deux processus. 

Ce fut "Catastrophe " de Beckett. Nous avions devant nous tout écrit: la terreur comme processus de la mise en scène, la mise en scène comme processus de la terreur et leur résultat: Auschwitz.

Kafka avait anticipé et exhibé, "en amont", le processus de la terreur qui avait conduit aux camps, à la "purification", à l'extermination; Beckett le montrait maintenant comme mode spontané, acquis, banalisé inscrit dans chacun et dans l'opinion publique, de création, de dégradation, d'exclusion de "l'autre" que "nous".Le processus de terreur n'avait pas cessé, il s'était "intériorisé", jusqu'à gagner "l'art", le mode de création "artistique" du corps, du corps d'autrui et du corps propre, ce qui est une évidence aujourd'hui.

Nous étions au coeur de l'Europe, de la question européenne.

Restait la complicité ordinaire, quotidienne, celle du "bon sens" que nourrit la terreur et qui nourrit la terreur, pour qu'elle installe le "populisme", la persévérance "soft" du XXème siècle, le "mild fascism" du racisme, du sexisme ordinaires, de la peur des jeunes, du rejet de l'intellectualité qui s'exprime dans le déni (" je ne suis pas raciste...sexiste...contre les jeunes...mais vous me direz...tout de même...).

Quelques "sketches" choisis de "Un riche et trois pauvres" de Louis Calaferte nous offrirent de quoi l'illustrer. Nous y découvrions de façon exemplaire la forme que le théâtre avait su donner, en tout lieu et à travers (son) l'histoire, aux expressions de la peur de l'autre: le "grotesque", qui allait être plus tard un de nos "thèmes" de recherche.

 

Et ce fut "Catastrophe", un "montage" encore: Beckett en tête, puis Kafka et Calaferte. Un ordre "descendant", une "descente dans les profondeurs"..., nous aurions pu choisir l'ordre inverse, didactique, brechtien...

Le "décor" consista en un "accrochage" de portraits de visages déchirés, dessinés et peints à l'encre noire, de notre ami Pawel Jocz, tableaux d'une "exposition" ( le théâtre universitaire invente, "bricole", fait beaucoup avec peu: en matière de scénographie il est résolument et décidément "minimaliste" - donc pas par "manque de moyens", car précisément nous les avons, mais pas ceux qu'on entend ...-

et là encore nous suivons T. Kantor, polonais comme Jocz...). Musique en contrepoint celle de l'Europe centrale, du yiddishland disparu, des "roms" chassés...

"Catastrophe" fut joué en français et anglais ( les deux versions écrites par Beckett), en français et allemand (Kafka), Calaferte en français. Dans notre Université, aux Festivals de théâtre universitaire de: Stuttgart (Allemagne), Zagreb (Croatie) en ouverture et clôture du Festival...,Bucarest (Roumanie).

Porter la "peste" (Artaud) du théâtre universitaire au coeur de l'Europe, de la question européenne, nous y étions parvenu...Quels seraient les lendemains?...

 

Ce fut aussi au cours de cette année que Fabrice Parmentier, directeur de la Chorale et de l'Orchestre étudiant de notre université me demanda d'assurer la mise en scène de l'opéra de Purcell " Le Roi Arthur"  ( choeur de 4O chanteurs, orchestre des Arts Florissants de W. Christie, chanteurs professionnels). J'y associait étroitement la Compagnie figurants muets sur le plateau). Il faut rappeler au passage que les étudiants ont toujours été associés aux créations lumière, à la composition sonore entre musique vivante et bande-son, apprentissage technique et artistique étant liés. Et là, à cette occasion, ils entrèrent dans les arcanes de la grande machine scénique du moment de la naissance de l'opéra en Europe, sorte de préparation au cinéma. L'opéra fit salle comble et fut un triomphe.Mais là encore cet axe prometteur d'associer étroitement théatre et musique (en attendant la danse...) pour faire de l'Université un lieu de création, de production artistique et culturelle spécifique, impliquant le vivier étudiant, de haut niveau de recherche dans la simplicité des moyens qui conviennent à l'invention et à l'intellectualité, fut sans lendemain.

 

Parmi les tâches que s'assigne le théâtre universitaire (et elles sont nombreuses, comme on peut le constater depuis le début de notre "historique", et la suite le prouvera encore, témoignant du "vide" abyssal que laissent les "institutions", et où se trouve pourtant l'avenir de l'Europe...) il y a celle d'exhumer ces moments des "avant-gardes" du siècle passé dont la dé(con)struction "culturelle" par les totalitarismes, qui était aussi une des conditions de leur avènement, a produit les "réalismes" nazi et soviétique et que nous mêmes, l'Europe d'après guerre, rangeons dans les placards des musées, dans les expositions, les exposés universitaires et des Ecoles d'art, dans les anniversaires et les catalogues posthumes.

Nous avions donc l'embarras du choix: l'expressionisme, le cubisme, l'abstraction, le surréalisme...tous avaient marqué le théâtre d'une empreinte qui en avait fait oublier la "convention", traces éffacées aujourd'hui.

Notre interêt s'est porté sur "Dada", y aller voir de plus près sur cet "anti-art", et avons choisi de travailler sur les deux pièces de Tristan Tzara: "Coeur à gaz" et "Mouchoir de nuages". Tzara, écrivain de langue française, était roumain d'origine ( notre passage à Bucarest avait tissé des liens que nous souhaitions exploiter pour y porter notre travail...). "Coeur à gaz" n'avait pas été porté sur la scène depuis sa création et "Mouchoir de nuages" depuis plus de cinquante ans...

La Compagnie s'était renouvelée, le "noyau dur" depuis le début ( il étaient quatre) étaient maintenant devenus formateurs (un des autres objectifs du TU...) et 4 Ateliers avient été ouverts créant le "vivier" de la Compagnie. Le travail (il dura un an plein) fut considérable. D'abord, comme toujours, le travail pratique, corporel et vocal sur "Coeur à gaz": de la vocifération au murmure à l'esquisse mélodique jusqu'à la chanson de cabaret renvoyait à la transformation du chant en musique ( Debussy, le "Sprechgesang", K. Weill...). Le travail sur le corps partait de la voix, et ce n'est qu'alors, de l'apparence d'un "non-sens" (pas d'intrigue etc...), que survinrent des motions de désir, de violence et de tendresses, des rapprochements et des éloignements, bref une "chorégraphie" d'une rare puissance ( née de la parole...): quand le cinéma muet, la vie des corps, est passé au "parlant", il est passé au discours ( et n'en est qu'exceptionnellement sorti...) et a perdu la parole. Tzara faisait parler le cinéma muet, le corps et la parole indissociables étaient là , le coeur était là: "Un coeur à gaz"...

 Si "Coeur à gaz" était le "théâtre zéro" qui fut une étape du chemin de T. Kantor, on peut dire que "Mouchoir de nuages" est le théâtre à la puissance "n", tous les théâtres s'y trouvent: de la tragédie au vaudeville, de la farce style commedia dell arte au secret de "Hamlet" ici révélé ( la scène muette avec Ophélie), de l'opérette style Offenbach au "Pierrot lunaire", dans la machinerie de l'opéra des Marx Brothers. A l'ascèse de "Coeur à gaz" succédait toutes les virtuosités du jeu, de l'improvisation. A la quintessence du théâtre succédait sa parodie intégrale. Là se trouvait le génie de "Dada".

Les étudiants ont pu se familiariser avec cette époque broyée et remisée au magasin des curiosités, prendre avec sérieux les choses légères et légèrement les choses sérieuses au lieu de la superficialité cynique et de la fausse rigueur actuelles. Une dédication et une curiosité enthousiastes pour le travail pratique, pour les années 2O avaient été déclenchées. Des idées de "masters" fleurissaient...La Compagnie avait montrés ce soir là, salle remplie à l'Université, sa maîtrise de "l'expérimental" et du "spectacle", des deux bouts du théâtre, après, encore une fois, un travail considérable: ce ne fut qu'un seul soir...

 

Cette année là ( 2005) je fus invité à présenter notre "concept" de TU aux étudiants bulgares de la New Bulgarian University: un Atelier de douze jours, à l'occasion du Festival international de TU de Varna.

J'eus donc le temps d'en développer, à travers des exercices, toutes les étapes de la pratique et à quoi elles conduisaient pour revitaliser un art qui est la porte d'entrée aux constructions narratives et audio-visuelles.

Je dois dire ici l'accord total que nous purent constater entre le travail de ma collègue V. Viharova à la NBU et le notre. Une jonction de nos deux Universités sur la place du TU dans les universités en Europe s'imposait d'autant plus que nous avions resserré nos liens avec Zagreb, l'inertie des institutions (AITU, ITI- UNESCO compris) fit le reste...

 

Mais un autre défi nous attendait: la traduction du théâtre au cinéma avait depuis l'invention du cinéma produit non seulement un nombre considérable d'oeuvres mais suscité des débats toujours actuels qui continuent d'alimenter recherches, thèses, congrès etc...On ne s'était jamais interessé à la traduction du cinéma au théâtre. C'est ce que nous entreprîmes avec une adaptation (traduction) que je fis du film culte de J. Mankiewicz ( le "film absolu" selon la femme qui y consacre une rubrique dans le "Dictionnaire de la pensée du cinéma"...) : "The ghost and Mrs.Muir"?

Nous avons concentrés la trame du film sur la rencontre du "fantôme" et de Mrs.Muir. Il n'est pas besoin d'insister sur la présence du "fantôme" dans le théâtre mondial (un livre de Monique Borie y est consacré), pas plus que sur l'actualité de la "spectralité" ( le retour des morts...) dans la "conscience" européenne...et mondiale( Kurosawa). 

Ce que nous a appris ce travail bouleversait tout ce que nous avions cru savoir du théâtre et du cinéma. Grâce aux artifices de la lumière et du son (que nous empruntions au cinéma et qui si on en étendait l'usage pourraient susciter à eux seuls de nouvelles narrations muettes en attente de parole...) le "fantôme" prenait corps sous nos yeux, la convention étant que l'actrice qui jouait Mrs.Muir et l'acteur qui jouait le "fantôme" ne se regardaient pas. Seuls les corps dans leur intimité charnelle se "parlaient". Une intensité folle de désir apparaissait dans les rapprochements sans contact, les déplacements, les gestes, qui qualifiaient et rythmaient la parole, l'intonation: l'impossible union, l'acte sexuel, prenait sa forme: tendre, caressante et pénétrante, extasiante en même temps que les silences de la séparation. 

Le cinéma appartenait à l'imaginaire, le théâtre rendait la réalité éprouvée d'un rêve. La preuve en était que les deux étudiants ( l'homme et la femme...), une fois trouvé la justesse de places, me disaient ressentir chacun la réalité de ce rêve physiquement...

Ce fut "L'amour du fantôme" (2OO6) joué en français et dans sa version originale en anglais tant à Nanterre qu'au Festival international de TU à Zagreb, où ce fut un triomphe: un spectateur vint me trouver après et me dit " c'est extraordinaire...j'ai cru voir un film"....

 

Trois fois invités au Festival de Zagreb, nous devions un hommage à ce pays au destin européen si controversé.

Je découvris l'oeuvre de Radovan Ivsic, poète, exilé en France dès le début de la seconde guerre mondiale, ami de Breton et actif dans le mouvement surréaliste, il était aussi l'auteur  d'une oeuvre dramatique très singulière. Je fis le choix de "Aiaxaia", une pièce sur la liberté de parole, la révolte contre l'oppression, mêlant l'antiquité grecque (Ajax)  et "l'équipée sauvage". Une pièce "primitive", âpre, d'une énergie constante et sans faiblesse. La coexistence des styles, le "baroque" de la pièce, ne devait pas chercher l'unité. La Compagnie rencontrait là un théâtre "physique" brut, une parole à la fois archaïque et moderne. La difficulté était là: être tout corps et énergie sur le plateau. Un nouveau défi...

En contrepoint à "Aiaxaia" j'entraînai la Compagnie dans l'ultime texte de F.G Lorca, "Sin Titolo" ("Sans Titre"), fragment posthume d'une pièce sur la Révolution espagnole. Texte court, mais où ce qui devait être le premier acte d'une pièce sur la Révolution était en fait une pièce qui l'introduisait dans le théâtre. Pour Lorca le théâtre conduit à la révolution, il n'a pas d'autre origine ou issue. Une révolution permanente...De même la révolution, toute révolution part d'un théâtre, c'est son sol. Et cela consiste à "ouvrir les portes", "faire tomber les murs", laisser monter et entrer la révolte de ceux qui n'ont pas droit à la parole pour choisir le monde où vivre...encore une question européenne...C'était le lien avec "Aiaxaia", un point d'orgue final.

La Compagnie fut là soumise à une redoutable épreuve: deux pièces "extrêmes" à la fois dans leur forme et dans leur contenu, d'une même teneur scénique que la "Cantate". C'était un double hommage qu'elle portait: d'une part à la "résistance" de Radovan Ivsic qui honore la Croatie ( l'auteur lui-même qui a assisté à la représentation d'Aiaxaia à Nanterre a tenu à féliciter la Compagnie en disant que de toutes les représentations de sa pièce auxquelles il avait assisté c'était la plus fidèle, la plus forte...). D'autre part un hommage à F.G Lorca qui fut dès le départ le "patron" de notre Ecole et de la Compagnie, puisque c'est lui qui a crée le théâtre universitaire - la "Barraca" - dont pour nous "Sin Titolo", "Sans Titre"...était en quelque sorte un "Manifeste" du TU,  tout autant que le "Manifeste de Dada" de Tzara, qui servit de prologue à ses deux pièces, l'était.

Les  deux pièces furent jouées à Nanterre et, bien sûr, à Zagreb...

 

Il nous fallait une pause.La Compagnie continuait de se renouveler, nous revinrent à Calaferte, cette fois l'intégrale de "Un riche et trois pauvres", en prenant pour "thème" le "Grotesque", un nouveau travail sur le corps et la voix en passant cette fois par le "clown". Satire féroce de l'arrogance, de la séduction et de la violence, de la bêtise ordinaires,  chaque fragment était un "cas d'école", idéal pour l'apprentissage des "nouveaux" de la Compagnie.

Le travail sur le "clown" reprenait ce qui était dès la fondation de l'Ecole la base de la "pratique", sur le mode cette fois de cette figure du cirque. Le travail sur le "grotesque" ouvrait sur les formes que prennent les "populismes". Joué à Nanterre, puis au Festival international de Cracovie ( où la langue française est bien présente),  nous pûmes mesurer à la réaction des publics à quel point la pièce "dérangeait", tant en France qu'en Pologne. Le grotesque est le comique du retour du refoulé, on le dit "grinçant". Tout un travail, un "art" pour le faire passer... en travers de la gorge. La Compagnie s'est bien amusée, elle...Le théâtre universitaire ne fait pas l'honneur de la guerre à ce qui est, mais ne laisse pas en paix...C'était en 2007, j'allais prendre ma "retraite"...mais je conservai toujours la direction de l'Ecole et les transformations de la Compagnie. 

 

Au Congrès de l'AITU à Puebla au Mexique en 2008 qui portait sur "L'identité du TU", je fis une intervention (qui je le souligne ici pour ceux qui désireraient savoir ce que j'en dis...a été publiée dans les Actes édités par les soins de l'AITU) sur notre "identité". Je pus mesurer alors, et par la suite, avec qui il y avait accord sur le concept, la méthode, les objectifs ( Amérique Centrale et du Sud: Mexique, Argentine et

Asie: Corée du Sud, Philippines...) les chiens de garde du mandarinat  ( TU="études théatrales" + "théatre étudiant") anglo-saxon ( et même français hélas!) jouant la comédie du "I prefer not to...". "L'apport de la culture à la construction de l'Europe" devrait savoir où sont ses "alliés" pour accoucher enfin d'elle-même...

 

De 2008 à 2OO9, une "nouvelle" Compagnie en main, nous reprenions Kafka. La lecture intégrale des "fragments" posthumes de Kafka ( rassemblés en français dans le tome 2 de La Pléiade) m'avait laissé l'impression, que, quelque soit leur hétérogénéité, je pressentai, à travers certaines récurrences, qu'il pouvait bien y avoir au moins un, peut-être plus, "fils rouges", "histoires" cachées. Je finis par trouver Ashaverus de la Bible, la légende du hollandais volant( Heinrich Heine), du Juif errant (et du "messianisme" qui lui est attaché), du "Vaisseau fantôme"de Wagner, du film "Pandora" etc...à travers les fragments consacrés au chevalier Gracchus. C'était bien sûr la parabole du salut, la rédemption d'un homme par l'amour d'une femme, mais chez Kafka cette parabole n'était que la métaphore, le symptôme du destin de l'humanité.

L'humanité ne se laisserait "gouverner" que par un"signifiant maître", le sexe masculin d'où seul s'assure la logique de l'identité, celle qui fonde la "raison",l'ordre, la hiérarchie, la marche en avant, la conquête, la domination, la décision qui fixe le dedans et le dehors, la violence. Gracchus est ce symptôme et le vit comme tel, dans le "malaise" de la "civilisation". Il ne s'agissait pas de la reconnaissance d'une femme, de la femme mais de celle de la différence sexuelle en chacun, de l'ingouvernable, de l'inquiètude, de l'incertitude irréductibles de l'humanité.

La trame était là, les fragments "Gracchus" l'organisaient, il fallait trouver les fragments qui libéraient du symptôme, ceux où se renonçait le primat de "l'homme" et sur quoi ils ouvraient. La Compagnie fut mobilisée, les fragments apparurent, nous en discutions le "montage". 

Ce fut "La cavalcade des rêves", ainsi nommée par le fragment étonnant qui nous donnait raison: il s'agit d'une Compagnie de théâtre qui joue et reprend indéfiniment une pièce qui s'intitule "La cavalcade des rêves"...

celle qui traverse l'humanité sans qu'elle s'en rende compte...

Nous la jouâmes à Nanterre, au Festival international de TU à Liège et, invités, au Festival international de TU à Marrakech où l'on nous décerna le "Grand Prix". Nous avions "royalement" (nous jouions au Théâtre Royal...) pris place et date de l'autre côté de la Méditerranée, de l'autre côté de l'Europe présente depuis des siècles en elle...Ce qui nous valut aussi une invitation d'office pour notre prochain travail...

 

Depuis longtemps je souhaitai rendre à Tadeusz Kantor, dont j'avais vu "La classe morte", épluché toutes les archives qui se trouve au "Cricot" de Cracovie, et qui a été une référence constante pour moi et surtout pour le luxe de la "pauvreté" du théâtre universitaire. Je proposai "Le fou et la nonne" de Witkiewicz que Kantor, qui avait une prédilection pour Witkiewicz, avait monté. J'en fis une lecture, la  Compagnie se divisa de la façon la plus nette: franche hostilité, enthousiasme fervent...Nous rencontrions une chose rare: une théatralité excessive, il fallait vraiment aimer "jouer", dans une certaine folie. Je rappelais le mot de Thomas Bernhard : "Theater ist Ubertreibungskunst", art de l'excès (ce dont témoigne son théâtre dont j'ai traduit quelques pièces).

Avec ceux qui s'embarquèrent dans l'aventure le travail a du être poussé jusqu'à franchir les résistances ultimes: sexualité juvénile, lourde de ce qu'elle a contenu, faisant exploser l'ordre psychiatrique et religieux, pendaison simulée suivie de renaissance, terreur blanche de l'hopital psychiatrique et camisole de force animée d'un désir féroce, nonne "ingénue libertine", mère supérieure ancienne tenancière de bordel: même le surréalisme de Bunuel n'était pas arrivé à cette invention dévastante...Surmontées les résistances la Compagnie se montra époustouflante. Succès à Nanterre, plus grand au Festival de Zagreb, triomphe au Festival de Marrakech où nous avons remporté outre à nouveau le Grand Prix, cinq prix supplémentaires (meilleur acteur, meilleure actrice,meilleure mise en scène, meilleur texte...): il fallait cette progression pour arriver à l'acmè.

Un des étudiants venait du département de Cinéma, nous avons décidé de visionner "Dr.Caligari" et le chargeai de proposer un montage vidéo dont certaines séquences choisies furent projetées en contrepoint de moments de la pièce. La musique fut empruntée aux films de Chaplin...

 

Nous étions en 2010. Je profitai de ma présence à Marrakech pour faire un saut à Dakar, rejoindre Ousmane Diakhatè le co-fondateur de l'AITU. Je lui avais proposé de monter "Illuminations", la première réalisation de notre Ecole et Compagnie, avec des étudiants de l'Université de Dakar, dans le cadre du TU qu'il dirige. Réaliser "Illuminations" avec 15 étudiants du Sénégal et les porter dans les pays où la langue française est encore présente, tel est le nouveau défi que je m'étais donné. Ousmane est d'accord. Je fis un essai sur trois jours qui dépassa mes attentes: la langue de Rimbaud résonnait immédiatement. Je devais commencer le travail cette année 2013 dans le cadre d'un accord entre la Mairie de Paris et celle de Dakar. On préfera apparemment la chanson. Mais le projet court toujours (cf. annexe)

 

2010. Missionné comme "observateur" pour l'AITU au Festival international de TU "Koufar" à Minsk (Biélorussie), les organisateurs me chargèrent d'animer les tables rondes après chaque spectacle ( je souhaite souligner ici qu'une des différences majeures entre les Festivals de théâtre "étudiant et un Festival de TU est que les spectacles "étudiants" se succèdent - quelquefois trois par jour!- sans que jamais in n'y ait d'écho - comment travaillent les compagnies, comment font-elles leurs choix, quels sont leurs moyens, leur place dans la réception universitaire etc...) et je rédigeais un compte-rendu détaillé de chaque spectacle en anglais pour qu'il y ait une trace et qu'elle soit diffusée. J'ai envoyé le compte-rendu à l'AITU sans aucun retour...!!!

 

2011. Appelé au Forum international de TU de Monastir en plein "printemps arabe", je fis la conférence d'ouverture sur le thème du Forum " Le théâtre à l'heure de la révolution arabe". J'évoquai, entre autre, comme axes d'Atelier de théâtre universitaire de travailler sur les "tabous" comme "conteneurs" de sensibilité, de traduire tous les "tabous" en termes d'expression et de sensibilié corporelle et vocale; de même pour les "prières" et leur traduction en poèmes...Des liens forts se créerent...Une forme  d'intégration "européenne" s'esquissait..

 

J'en viens à la conclusion: on jugera de la cohérence et la perséverance de l'entreprise menées jusqu'à aujourd'hui et elle continue. J'ai confié la direction de l'Ecole et de la Compagnie en 2012 à Jean-Noël DAHAN, j'en reste le fondateur.Jean-Noël a été l'un des membres du "noyau dur" de la Compagnie depuis 1998 sans faillir.

On m'a souvent demandé, pas seulement qui prendrait ma relève, mais qui pourrait bien diriger une Ecole et une Compagnie de TU dansl'envergure qu'elle doit prendre localement et dans le réseau où elle doit se développer en le développant.

D'abord et avant tout il faut être "acteur" et je l'ai été. JN est un acteur confirmé. On ne peut envisager la "mise en scène" sans être acteur.

Il faut certes des "diplômes" pour être à l'Université. JN en a plusieurs et de disciplines différentes plus un DESS de Dramaturgie et de Mise en scène.

Certes il faut avoir traversé des expériences de travail analogues à celles que j'ai décrites ( dix pour JN...).

Certes il faut une sensibilité artistique, pratiquer au moins un autre art, j'ai fait du piano; JN est un pianiste accompli

Il faut une curiosité toujours en éveil, avoir beaucoup lu, assimilé, voyagé, parler plusieurs langues, avoir  fait de jeunes expériences amoureuses...(JN s'y reconnaîtra...à l'exception peut-être des langues mais il est jeune...)

Il faut savoir créer l'esprit d'une création collective et s'effacer ensuite devant elle (JN anime des Ateliers de TU, réalise des créations de valeur depuis des années)

Et selon les statuts mêmes de la Compagnie il ne faut négliger ni la "mémoire" ni "l'actualité" des choses pour savoir quoi faire, où aller, que rappeler

Enfin, last but not least, de se rendre compte que le TU n'est pas seulement un dispositif de création collective mais un dispositif "intellectuel" qui fait "penser" et non dispense un savoir en boîte.

C'est en effet de là que l'on comprend que l'on n'a jamais fini avec les découvertes et les inventions que réserve la pratique qui donne toujours à penser...

 

       Mais qu'ai-je décrit là? Si ce n'est tout simplement ce que tout étudiant devrait pouvoir rencontrer dans une Université digne de ce nom...

 

bottom of page